100F, 10000F, 25000F…, tout le monde a un peu (plus ou moins) de monnaie dans la poche ou sur un compte bancaire et a à peu près conscience à quoi elle lui ou peut lui servir.
La monnaie est généralement définie à travers ses trois fonctions que sont : unité de compte, intermédiaire dans les échanges et réserve de valeur. C'est le moyen de paiement accepté par la population d'un pays ou d'un ensemble de pays et utilisé entre elles dans leurs transactions de tous les jours. Dans l'UEMOA, la monnaie c’est le franc CFA (BCEAO). Avant d’être un outil économique pour échanger, mesurer la valeur des choses échangées et conserver de la valeur dans le temps, la monnaie est une institution sociale que l’on retrouve sous forme différentes
dans toutes les sociétés, aussi loin que l’on remonte dans les temps historiques, selon des économistes comme Michel Aglietta. C’est également un attribut fondamental de souveraineté. Or, bien qu’ils soient indépendants depuis plus d’un demi-siècle, les pays ayant adopté le FCFA ne disposent point de cet attribut, en raison notamment du fort lien étroit existant avec la France, le franc auparavant, et maintenant l'euro. Ce lien se traduit concrètement par le fait que les pièces et les billets en FCFA sont frappés dans une imprimerie de la Banque de France à Chamalières, en France. La moitié des réserves de change des pays utilisant le franc CFA sont déposées auprès de la Banque de France. Ce dépôt garantit une convertibilité illimitée du FCFA avec l'euro. Cette situation confère malheureusement une certaine influence de la France sur les pays de la zone franc. Et en manifestant sa volonté d’engager la réforme du CFA, le président Macron entend souligner que la France conserve les rênes. C’est qui constitue une grande anomalie. Car, contrairement aux anciennes colonies anglophones, qui ont depuis des lustres des monnaies autonomes, avec des succès plus ou moins mitigés, leurs homologues francophones peinent à prendre leur véritable émancipation économique et monétaire. « La rupture partielle annoncée par Macron sonne comme un « appel à une véritable émancipation économique et monétaire de Etats africains francophones » (Editorial du journal « Le Monde » du 27 décembre 2019), et donc à les responsabiliser ! Par ailleurs, sans rupture totale, la prospérité tant rêvée risque de se faire encore attendre. Puisqu’ « il n'y a pas d'émancipation possible sans la prise de conscience explicite de ce par quoi on est asservi, et plus fondamentalement sans la conscience même de l'asservissement, jusque-là étouffée, anesthésiée par les habitudes et le poids des conformismes » (Alain Accardo). De surcroit, avec la diversification des partenaires commerciaux qui requiert une l’indépendance financière et donc nécessairement par une réforme ambitieuse du CFA.La nécessaire réforme du FCFA
Le 21 décembre 2019, les
présidents Emmanuel Macron (France) et Alassane Ouattara (Cote d’Ivoire) ont
annoncé une réforme que l’on pourrait qualifiée d’historique du FCFA.
Concrètement, on ne devrait plus parler de cette monnaie, créée en 1945 (pour
en savoir plus
https://www.lepoint.fr/economie/afrique-franc-cfa-70-ans-d-histoire-contrariee-28-12-2015-2005729_28.php)
pour « les colonies françaises d'Afrique » et dont seul le
nom avait évolué avec les indépendances des années 1960.
Sur les trois aires géographiques concernées par le
franc CFA - les Seychelles, l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest -
l'accord signé samedi ne concerne que les huit pays de l'Union Economique et
Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire,
Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.
Trois décisions ont été prises :
• Le changement du nom de la monnaie Franc CFA en ECO, lorsque les pays de l'UEMOA intégreront la nouvelle zone ECO de la CEDEAO. Cette intégration se fera à l’aune du respect des critères de convergence. Pour rappel, ces derniers constituent l’ensemble des règles de discipline budgétaire que se sont « librement » imposé les pays de la zone franc en Afrique de l’Ouest à la faveur de l’institution de l’UEMOA en 1994, largement inspiré du traité de Maastricht, afin de rendre viable la zone monétaire unique. Les seuils fixés, que les pays membres peinent à respecter (voir tableau « état de convergence », doivent évoluer pour mieux prendre en compte les réalités de ces Etats ;
• L’arrêt
de la centralisation des réserves de change au Trésor Français, la fermeture du
compte d’opérations et le transfert à la BCEAO des ressources disponibles dans
le compte. A titre de rappel, c’est l’Institut d’émission qui centralise et
gère les réserves de change des Etats membres de l’UMOA. Or, en vertu d’une
convention signée le 04 décembre 1973 entre l’Etat français et les Etats de
l’Union ainsi que de l'Avenant signé le 20 septembre 2005, 50% de leurs avoirs
extérieurs est déposé dans un compte d’opérations ouvert dans les livres du
Trésor français. Au 31 décembre 2018, le montant du compte d’opération
s’établit à 4 611 148 000 000 FCFA (Bilan annuel de la BCEAO).
Selon Lepoint.fr, « la France ne gagne pas d'argent avec ces
dépôts. La Banque de France rémunère actuellement ces dépôts au taux plancher
de 0,75 % par an. Les intérêts sont reversés aux pays africains chaque année ».
En contrepartie, ce dépôt garantit une convertibilité illimitée du FCFA avec
l'euro ;
• Le
retrait de tous les représentants Français dans les organes de décision et de
gestion de l’UMOA (Conseil d’Administration de la BCEAO, Commission bancaire et
Comité de Politique Monétaire).
Par ailleurs, les changements annoncés ci-dessus et la
mise en place de l'ECO courant 2020 n’affectent en rien l’usage quotidien du
Franc CFA par les populations et les entreprises de l'UEMOA.
Le mercredi 20 mai 2020, le Conseil des ministres
français a acté par une loi le désengagement français du CFA. Même si ce
désengagement ne signifie pas la disparition de la monnaie en circulation
dans les huit pays de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), il s’ouvre pour
ces pays une période de transition et de réflexion commune sur l’avenir de leur
monnaie. D’où l’importance de faire des choix judicieux.
Le véritable enjeu de maitrise change
Selon Tiémoko Meyliet KONE, Gouverneur actuel de la
BCEAO, « dans l’optique de faire de l’ECO le fondement du dynamisme de
l’union économique, ainsi que de la prospérité des populations des pays
concernés, les plus Hautes Autorités de l'UEMOA ont souhaité conserver deux
piliers clefs de la stabilité monétaire de la zone :
• Le maintien du taux de change fixe par rapport à l’euro
(qui assure la parité actuelle).
• La
garantie de convertibilité illimitée de la monnaie par la France ».
Pour le premier pilier, si l’union monétaire garantie
par la France assure la stabilité, le système maintenant la parité avec une
monnaie trop forte, l’euro, empêche toute dévaluation compétitive, décourage la
production locale, entrave l’industrialisation et enferme les pays dans une économie
de rente de matières premières. Pour que la réforme annoncée soit efficace,
l’ancrage à l’euro doit s’inscrire dans une période transitoire pour rassurer
les investisseurs afin d’éviter de sorties massives de capitaux pouvant ainsi
déséquilibrer le système financier de l’UEMOA, et qui ferait peser le risque de
l’effondrement des économies la constituant. Pour rappel, des décisions ont été
prises par les chefs d’Etat de la CEDEAO en ce qui concerne le choix du régime
de change qui doit être flexible et indexé sur un panier de monnaie. Tout
l’enjeu consistera à réfléchir sur la définition d’une période de transition
« raisonnable » devant aboutir à un arrimage à un panier de monnaie.
Concernant le second pilier, la garantie apportée par
la France ne peut être soutenable à long terme selon de nombreux experts. D’où
la mise en place d’un mécanisme transitoire vers un autre équilibre
monétaire.
Deux mesures non exhaustives pour réussir la nouvelle
union monétaire
Agnès BENASSY-QUÉRÉ, membre du Cercle des Economistes (France), suggère la mise en place de deux mesures devant permettre selon elle la réussite de la nouvelle union monétaire. D’abord, par le contrôle de l’inflation, qui reste par ailleurs modérée dans l’UEMOA (voir tableau évolution de l’inflation dans les principaux partenaires de l’UEMOA). Selon cette économiste, par le fait de « bâtir l’union monétaire de la Cedeao à partir de l’UEMOA, qui est déjà une union monétaire, est une décision de bon sens. Une étape importante sera de progressivement désengager la France et détacher la monnaie commune de son ancrage à l’euro tout en contrôlant l’inflation et en évitant les dépréciations en chaîne. C’est moins difficile aujourd’hui qu’hier, l’inflation étant faible un peu partout dans le monde. Ajouter d’autres pays volontaires d’Afrique de l’Ouest à cet ensemble sera alors faisable… à condition non seulement que les taux d’inflation convergent, mais aussi que les nouveaux membres restent de taille modeste ».
Pour surmonter ces difficultés, il faudrait mettre en
place dans chaque pays un fonds de stabilisation assorti de règles strictes
pour lisser l’effet des fluctuations des prix des matières premières : épargner
les recettes supplémentaires en période de boom pour les distribuer en période
de chute des cours. En quelque sorte, il faudrait éviter de reproduire (en
pire) les erreurs de l’Union monétaire européenne : mettre en place des
politiques budgétaires fortement stabilisatrices pour compenser la mise en
commun de la politique monétaire.
L’expérience européenne montre que la convergence
structurelle des économies est un préalable important à l’union monétaire.
Mieux vaudra ne pas trop se précipiter : éprouver d’abord le fonctionnement
nouveau de l’UEMOA, tester les institutions monétaires et budgétaires,
renforcer l’intégration régionale avant d’élargir la zone ».
Œuvrer en faveur d’une meilleure intégration régionale
En 2015, selon la Banque Africaine de Développement,
12 % environ des exportations de la CEDEAO étaient destinés à des États
membres, contre 6 % pour d’autres pays africains et environ 80 % pour le reste
du monde. La la faiblesse du commerce intra-zone serait imputable à plusieurs
facteurs, dont l’insuffisance en matière d’infrastructures de transport et de
communication et le coût des transactions (le change notamment). Cela sape, en
partie, l’impact de l’intégration régionale sur les échanges et le
développement. L’avènement de l’Eco devra permettre, selon Tiémoko Meyliet
KONE, « la réalisation d’un projet commun : construire collectivement
la croissance des pays de la CEDEAO et faire de cette zone l’épicentre d’une
prospérité qui bénéficiera aux générations actuelles et futures ».
Si la création de la monnaie unique de la CEDEAO reste
un des objectifs fondamentaux de cette Communauté, depuis sa création le 28 mai
1975 et devant « améliorer les échanges entre les différents pays
membres, renforcer la stabilité et la résilience des économies et impulser une
croissance forte, durable et inclusive au niveau de la région », elle
doit s’accompagner de réformes structurelles, dont l’amélioration de la
gouvernance et l’application des dispositions qui doivent faciliter la libre
circulation des personnes – qui doit se traduire par la facilitation du
franchissement des frontières par ses ressortissants - et des capitaux en son
sein.
Fin du FCFA : est-ce la levée du frein au
développement de l’UEMOA ?
Le FCFA est considéré, à tort ou à raison, comme un
alibi pour expliquer certaines insuffisances : immobilisme politique,
corruption endémique et climat des affaires déficient. La réforme évoquée plus
haut, va-t-elle changer la donne ? Certainement sur le plan symbolique.
Car, les décisions actées le 21 décembre 2019 à Abidjan représentent un
tournant majeur dans l’histoire monétaire de la région. Mais la prudence reste
de mise sur le plan pratique et en termes de bien-être de la population.
Puisque cette réforme, même si elle était très attendue, demeure insuffisante
pour faire « émerger » des nations victimes de la gouvernance continue
d’interroger, même s’il faut saluer des efforts consentis pour améliorer
celle-ci ces dernières années.
Quelques préoccupations demeurent encore à l’image de la corruption qui prive les pays de mannes importantes devant servir au financement « correct » des secteurs sociaux, la dilapidation des ressources publiques, la culture de l’impunité et la médiocrité, l’absence de volonté ou vision pour corriger nos faiblesses structurelles (qualité des infrastructures, de l'éducation ou encore de la stabilité fiscale et politique). A cela s’ajoute le manque inquiétant de statistiques fiables. Sans données solides, il devient difficile, voire impossible, de mener de politiques efficaces. Ce qui confirme « l’avancement » à l’aveuglette : les politiques sont inadéquates, les ressources mal orientées, et les progrès incertains (Mo Ibrahim).
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