« […] Si l’Etat
encourageait, c'est-à-dire s’il laissait jouir d’une parfaite liberté tous ceux
qui, pour leur propre intérêt, voudraient essayer d’amuser et de divertir le
peuple, sans scandale te sans indécence, par des peintures, de la poésie, de la
musique et de la danse, par toutes sortes de spectacles et de représentations
dramatiques, il viendrait aisément à bout de dissiper dans la majeure partie du
peuple cette humeur sombre et cette disposition de mélancolie qui sont presque
toujours l’aliment de la superstition et de l’enthousiasme. » (Adam Smith,
Livre V, chap. 1, section 3).
Pendant longtemps,
la conception dominante du « développement » a été réduite à celle de la «
croissance économique » et ce n'est que peu à peu qu'on a parlé de « développement
économique et social », la « dimension culturelle » étant introduite à une date
récente. Cette évolution correspond, certes, à une meilleure prise de
conscience que la culture rend possible le développement économique et le
stimule.
Le concept de culture ne possède
pas de définition consensuelle capable de satisfaire les points de vue
divergents de différents auteurs et courants de pensée, autant en économie, en
sociologie qu'en anthropologie. Néanmoins, la définition qui nous intéresse est
celle qui considère la culture comme étant « une catégorie concrète et
descriptive faisant allusion au travail artistique et intellectuel. Le concept
de culture est donc lié spécifiquement aux produits des sociétés dans
lesquelles la valeur symbolique ou esthétique occupe une place prépondérante.
Actuellement, cette interprétation de la culture représente le sens le plus
commun utilisé dans le langage courant, incluant l'ensemble des activités
issues des arts, des industries culturelles, de l'artisanat, du patrimoine, etc.
(autrement dit, le 'secteur culturel') » (FELIPE VERDUGO-ULLOA, 2018).
La culture : un enjeu important pour le développement
La culture
constitue indéniablement un enjeu important pour le développement. Comme en
témoignent les choix opérés par des pays comme la Chine, l'Inde, l'Indonésie,
le Brésil, d'investir massivement dans les industries créatives. Dans les
années quatre-vingt-dix, le concept d’industries créatives, incluant l’architecture,
le design, la publicité, l’artisanat, la mode ou le tourisme culturel, voit le
jour en Australie puis se développe au Royaume-Uni. Ces industries ont été
définies comme « toute industrie qui a pour origine la créativité individuelle,
l’habileté et le talent et qui a le potentiel de produire de la richesse et de
l’emploi à travers la création et l’exploitation de la propriété intellectuelle
». La notion de créativité est liée à la capacité de générer de nouvelles
idées. En 10 ans, le poids de la culture dans les politiques nationales de
développement a bondi. Elle fait aussi partie des stratégies, selon Irina
Bokova, directrice générale de l'Unesco (2009 à 2017), de sortie de crise. La
présidente de l’institution onusienne citait en 2014 l'exemple de l'Islande,
l'un des premiers pays européens touchés par la crise de subprimes. Le Président
de ce petit pays européen déclarait que sa première mesure d'urgence, pour
répondre à la crise qui sévissait, avait été de décider la construction d'une
salle de concert, « à la fois pour relancer l'emploi, et comme un projet
fédérateur pour redonner de la dignité et de la confiance en l'avenir ».
Dans le passé, le secteur culturel n'a pas toujours été au centre des
stratégies de développement rapide - mais quand il s'agit de construire un
développement durable, la culture a de nombreux atouts. Les résolutions de
l'Assemblée générale des Nations Unies sur « Culture et développement »
poussées par l'UNESCO et adoptées en 2011, 2010 et 2013 témoignent du changement
de mentalités.
La politique culturelle au Niger
Incontestablement, c’est sous le régime militaire de Seyni Kountché que
le secteur culturel nigérien connut sa période de gloire imputable, en partie,
à la création du « Mouvement National de la Jeunesse Nigérienne » :
la « Samaria ». La mission assignée à cette structure consistait à « promouvoir
et de développer, à travers les actions communautaires de la Jeunesse, la
fraternité, l'entraide et la solidarité, ainsi que les valeurs culturelles artistiques nationales et la
pratique des activités éducatives et sportives. Par ailleurs, le Mouvement
National de la Samaria avait pour objectif de créer et d'entretenir chez les
jeunes l'esprit patriotique et fraternel, le respect des valeurs sociales. Il visait
à organiser ces jeunes en vue d'une meilleure intégration dans le processus du
développement du pays et de favoriser par-là même, la promotion individuelle et
collective des jeunes par des actions appropriées » (Pour en savoir
plus https://bit.ly/2WDYiWc).
Après la mort de Kountché, le secteur culturel était devenu quasiment le parent
pauvre des politiques publiques. Comme en témoigne le mouvement « Djogol
Culture », né de la volonté de certains artistes nigériens, pour exiger
l’amélioration de leurs conditions de travail et vie, la promotion et la
prospérité de la culture nigérienne.
Cette revendication aurait vraisemblablement été prise en compte avec
l’arrivée du régime de S.E Issoufou Mahamadou qui a fait de la
« Renaissance Culturelle » un axe majeur de son mandat. L’objectif
affiché était de valoriser de nombreux atouts dont dispose le pays, notamment à
la jeunesse talentueuse de la population et l’existence des sites et monuments
culturels. Une façon de pallier « l’absence d’une cartographie du patrimoine
culturel, l’insuffisance du soutien à la création des biens et services
culturels, l’inexistence d’un réseau structuré de distribution et de diffusion
des biens culturels et la faible capacité du Bureau Nigérien des Droits d’Auteurs
(BNDA) ».
De nombreuses mesures ont ainsi été prises telles que la création du Le
ministre de la renaissance culturelle, des arts et de la modernisation sociale, la
Création de l’Agence de Promotion des Entreprises et Industries
Culturelles du Niger (APEIC-Niger), la valorisation du statut de l’artiste au
Niger, etc. (suivre ce lien pour en savoir plus https://bit.ly/2KOZELJ).
Il apparait clairement que ces politiques visent à créer un cadre favorisant le
développement des industries culturelles et créatives (voir ci-dessus) à
travers le pays.
Qu’entend-on par industries culturelles ?
« L’arbre sans fruits de Aicha
Macky », « le héros du sahel » de MOGMédia Design, la chanson
« Annassara Dogari » de Mali Yaro … autant œuvres et d’acteurs qui
contribuent au rayonnement de l’industrie culturelle nigérienne à l‘échelle
nationale et internationale.
Le concept d’industrie culturelle,
qui intègre l’édition, le cinéma, la musique, la radio, la télévision et les
arts de la scène ainsi que, depuis peu, les jeux vidéo, a été introduit par T.
Adorno et M. Horkheimer dès 1947. L’industrie culturelle peut être formalisée
comme « l’ensemble en constante évolution des activités de production et
d’échanges culturels soumises aux règles de la marchandisation, où les
techniques de production industrielle sont plus ou moins développées, mais où
le travail s’organise de plus en plus sur le mode capitaliste d’une double
séparation entre le producteur et son produit, entre les tâches de création et
d’exécution ».
Si les industries culturelles y
font appel tout comme les industries créatives, les premières requièrent
également un contenu culturel, artistique ou patrimonial. De même, si ces deux
notions s’appuient sur les droits de la propriété intellectuelle (et notamment
pour les premières le droit d’auteur et le copyright), les industries créatives
n’y font pas systématiquement appel ; elles reposent essentiellement sur la
créativité et potentiellement sur une image de marque. (Cf. Politiques pour la créativité : guide pour le développement des
industries culturelles et créatives. Publié en 2012 par l’Organisation des
Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture et l’Organisation
internationale de la Francophonie).
Bien que les œuvres culturelles
soient nombreuses, il est difficile d’estimer le poids du secteur culturel dans
notre pays faute de statistiques disponibles.
La consommation des biens culturels
Malgré
l’absence des statistiques sur le sujet, on peut affirmer que les Nigériens
sont de grands consommateurs de biens culturels. Ce qui devrait en principe
redynamiser le secteur. Sauf que cette consommation se ferait essentiellement
de manière gracieuse. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le téléchargement
ou partage illégal de musique qui s’est banalisé dans notre société à cause
notamment des moyens limités du BNDA. Pourtant, cet acte, même s’il peut parait
anodin, nuit à la création artistique. On ne le souligne jamais assez. Produire
une musique ou un album est un travail de longue haleine. Bien sûr c’est une
expérience qui fait plaisir mais depuis quand est-ce une raison pour ne pas
être rémunéré. Les groupes et les artistes doivent être soutenus afin de rester
actifs et pouvoir vivre décemment de leurs métiers.
La nécessité de valoriser les patrimoines
nationaux
Le Niger dispose d’atouts
considérables liés notamment à l’existence des sites et monuments culturels
classés aux patrimoines national ou international. Le plus célèbre étant la
mosquée d’Agadez. Malheureusement, la majorité de ces sites restent méconnus,
voire en ruines. Pourtant, la culture envisagée comme secteur d’activité qui
inclue le patrimoine matériel et immatériel et les industries créatives est en
elle-même un puissant vecteur du développement, avec des conséquences
sociocommunautaires, économiques et environnementales importantes. En outre,
cela représente l’occasion de promouvoir
le tourisme durable, comme un sous-secteur pour l’investissement, pour
encourager l’investissement dans l’infrastructure et stimuler le développement
local et durable. Par exemple, selon l’Unesco, le Conseil International des
Monuments et des Sites en Irlande a estimé que pour chaque euro investi dans le
patrimoine, 300 à 400 euros (1 euro égale à 655,957 FCFA) reviennent au Trésor.
Pour quatre emplois à temps complet crées dans le secteur, dix emplois à temps
partiels sont générés. Enfin, « l’expérience montre que les
ressources culturelles d’une communauté peuvent être transformées en richesse
économique en promouvant le caractère unique de l’identité, les traditions, les
produits culturels et les services d’une région dans le sens où ils génèrent
emplois et salaires » et donc contribuer à réduire la pauvreté.
La réduction de la pauvreté
La réduction de la pauvreté reste un enjeu important, voire vital pour nos
autorités. Le secteur de la culture donne une ressource économique durable dans
laquelle les communautés sont habilitées à prendre part à leur développement
économique.
Les économies nationales peuvent en effet tirer profit de manière
significative du secteur de la culture. « Des statistiques récentes de
l’UNESCO (Mars 2012) montrent qu’en Equateur, les activités culturelles
publiques et privées ont contribué à 4,76% du PIB et que, la même année, 2 ,64
% de la population totale employée travaillait dans des emplois culturels. Le
secteur de la culture au Mali représentait 5,8% de l’emploi en 2004 et 2,38% du
PIB en 2006, tandis qu’en Colombie, l’artisanat représente un revenu annuel
d’environ 400 million de dollars américains, dont 40 millions en exportations.
En définitive, le secteur de la culture soutient l’économie par la
création directe et indirecte d’emplois. Il contribue également à stimuler
l’innovation dans d’autres secteurs en termes de gains de productivité, de
développement régional, national, d’image de marque de la communauté et de
promotion du tourisme local ou national. Enfin, pour se développer, le Niger
doit en partie s’inspirer des grandes nations qui ont su mettre la culture au
cœur de leurs stratégies.
@ibrahimlouche
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